Barrage aux wokes ! 

Il y a en aurait des choses à dire sur le contenu de cette revue de presse. Mercato électorale et communication sur les réseaux ont le vent en poupe à quelques mois des élections. Mais c’est l’arrivée de Marc Ysaye au MR que nous souhaitons commenter – ou plus, plus précisément, les objectifs qui guident son entrée en politique. Aussi, on peut lire dans l’article de la RTBF : 

« Son objectif ?
Faire barrage aux wokes (…).
Son rôle, confie-t-il : attirer l’attention sur les dangers de ce qu’il qualifie de wokisme. » 

RTBF / Revue de presse du 05 janv. 2024 à 09:20

Alors contre qui et contre quoi l’ancien animateur radio de la RTBF part-il en croisade ? 

Le wokisme et son origine

« Woke » (éveillé en anglais) est un terme popularisé par le mouvement américain Black Lives Matters en 2014. BLM manifeste alors la mort d’Eric Garner – noir américain tué lors de son arrestation par un policier. Lors de la marche, le slogan « Stay woke » (restez éveillé) est clamé comme une invitation à rester vigilant aux inégalités et discriminations raciales.  

L’emploi du terme s’est ensuite étendu à d’autres luttes sociales : lutte contre le sexisme, lutte contre l’homophobie et pour la reconnaissance des identités de genre, lutte pour le droit des immigrés, mobilisation pour le climat, etc. Devenant en quelques années un fourre-tout aux détours assez flous. 

Dans les faits, aucun.e militant.e ne se revendique aujourd’hui du wokisme. Le terme a été assez vite abandonné par ceux qui le portaient face à l’extension de son utilisation. Pourquoi est-il aussi entendu et médiatisé de nos jours alors ? Par la récupération qu’en a fait la droite populiste et conservatrice américaine – celle qui a porté Donald Trump au pouvoir – afin de désigner péjorativement une supposée idéologie progressive sur le plan de la justice sociale.  

Le retour du terme Wokisme

Une récupération qui a traversé l’Atlantique pour être réappropriée par l’extrême-droite, mais aussi par les droites conservatrices et réactionnaires à l’image de Jean-Michel Blanquer, Gérald Darmanin, Georges-Louis Bouchez et maintenant Marc Ysaye pour les exemples francophones.  

Alors, nous pouvons nous montrer de bonne foi. Il y a un réel débat à avoir sur certains moyens utilisés par des militant.e.s. Parmi ceux-ci, la cancel culture a sa place à l’agenda du débat public et Marc Ysaye, en tant qu’expert d’une partie de la scène culturelle, ne manquera pas de nous éclairer de ses connaissances et intuitions.  

Pourquoi faut-il avoir peur du Wokisme ?

On ne peut toutefois s’empêcher d’avoir quelques inquiétudes. 

D’abord la rapidité avec laquelle le terme s’est popularisé sur la scène politique occidentale. Il semble que l’extrême droite excelle quand il s’agit de diffuser sa sémantique. Dire que cela vient de BLM… On tient en tout cas dans le terme wokisme le digne descendant de « islamo-gauchisme ».  

Ensuite, et c’est le point central de cette note, il s’agit d’une manipulation rhétorique. Dans une chronique publiée le 21 octobre 2021, Clément Viktorovitch la qualifie « d’arme de disqualification massive » sur France Info. Il s’agit en effet tout simplement d’un homme de paille – procédé rhétorique fallacieux par lequel on exagère, déforme, simplifie une position pour la rendre ridicule et/ou indéfendable.  

Car dans les faits, les différents mouvements progressistes qui se voient attribués l’étiquette « woke » (antiracisme, antisexisme, écologie, mouvement LGBTQIA+…) ne sont pas unifiés.  Si on peut retrouver des discours communs dans ces différentes entités, leurs réalités socio-culturelles sont souvent significativement différentes. Et c’est précisément ceci qui empêche l’unité présupposée par les tenants de l’antiwokisme.  

Chaque question sociale présente ses propres spécificités et analyses portant leur demande de progrès. Ainsi, l’antiracisme interroge les rapports interculturels dans des sociétés ayant bénéficié de la colonisation ; l’écologie interroge la gestion de l’environnement dans l’exploitation de ses ressources ; les mouvements LGBTQIA+ interrogent la liberté identitaire et sexuelle, etc. Si toutes ces perspectives sont loin d’être inconciliables1, on voit que les questions traitées ne sont pas les mêmes.  

Le Cancel

Aussi, faire « barrage aux wokes » devient un objectif flou. On n’est loin de la caricature unique dressée plus haut. Mais surtout, l’attitude antiwoke commence de plus en plus à ressembler à une fuite du débat concernant des revendications sociales ayant toutes leurs spécificités. Si l’on voulait pousser un peu, on pourrait dire que le barrage aux wokes est un cancel des questions sociales contemporaines. Et ça, ça ne plairait pas non plus à cette droite conservatrice. Décidément, on ne peut vraiment plus rien dire…  

On reste cependant convaincu que c’est surtout une attitude qui est décriée par des gens comme Marc Ysaye. Celle du refus du débat par manque de lecture commune du monde. Attention toutefois à ne pas tomber dans les travers de la cancel culture en voulant la combattre. Ce qui semble, bien maladroitement, être le cas pour le moment. 

Pourquoi porte-t-il quand même quelque chose ?

Chez JEC, on trouve utile de se poser des questions concernant les inégalités systémiques. Plusieurs groupes de travail y sont d’ailleurs dédiés (Interculturalité, durabilité, publics marginalisés…). S’il y a matière à débat dans l’association, on ne se refuse pas l’opportunité d’en parler. On évite de jeter en bloc plusieurs revendications qui expriment un malaise social par les voies démocratiques à leur disposition. Discuter sans disqualifier, en étant curieux de situations qui ne sont pas les nôtres, c’est s’assurer une meilleure compréhension du monde et de soi. C’est une attitude responsable, active, critique et solidaire.  

Et si on venait à nous dire qu’adopter cette attitude c’est être woke, on leur répondrait en empruntant la formule de Louisa Yousfi dans Rester barbare : « Oui, et alors ? » 

Ah ! Et bonne année 😊 

JEC, le 16 janvier 2024

Sources

Article Europe 1 La revue de presse : le mercato des listes électorales continue, Marc Ysaye rejoint le MR”, 05 janv. 2024 à 09:20 (lien url https://www.rtbf.be/article/la-revue-de-presse-le-mercato-des-listes-electorales-continue-marc-ysaye-rejoint-le-mr-11308531) 

Donne-nous ton avis
sur notre nouveau site Internet.